Transcription de l’entretien avec Bernard Chaumeil
mars 2017

Pascal Pilate : Peux-tu nous expliquer ta démarche et ta vision des choses, qui peuvent être atypiques pour certains ?

Bernard Chaumeil : Je suis analyste-énergéticien. Je travaille donc sur les histoires des gens. En tant qu’analyste, j’essaie d’abord de ressentir si quelqu’un, à travers son histoire, est porteur de traces négatives, ce que l’on appelle des charges émotionnelles et mémorielles. Mon travail d’énergéticien quant à lui est de libérer une partie de cette charge en travaillant sur le corps dans des zones de stress. En travaillant sur ces zones, je pense que j’influence la libération d’une empreinte mémorielle et émotionnelle qui est localisée dans la psyché, l’inconscient, mais aussi dans ce que l’on appelle les « corps subtils ». Dans cette vision des choses, nous avons un corps physique sur lequel d’ailleurs tu travailles en tant qu’ostéopathe, mais ce corps renvoie aussi à autre chose. Des zones physiquement importantes sont aussi des zones énergétiques, comme le bassin, la matrice où « tout se crée », que l’on appelle la porte de la « corporisation ». Il y a également une porte des viscères que l’on appelle la porte de la personnalité où il va y avoir des émotions (colère, tristesse, déceptions, choses non digérées) et il y a en encore d’autres portes. A travers un travail sur tous ces centres énergétiques, le praticien va mettre en place une réconciliation entre les désirs de la personnalité de l’ordre de l’égo et l’intention de l’âme, qui est une intention plus subtile.

« L’imagination n’est pas, comme le suggère l’étymologie, la faculté de former des images de la réalité ;
elle est la faculté de former des images qui dépassent la réalité, qui
chantent la réalité. Elle est une faculté de surhumanité. »
L’eau et les rêves — Essai sur l’imagination de la matière (1942), Gaston Bachelard

PP : Ces différentes zones correspondent aux plexus neuro-végétatifs et à ses différents diaphragmes. J’aime ton recul et cette analyse originale, elle possède pour moi un supplément d’âme.

BC : Tout cela se recoupe d’après moi. J’ai souvent sollicité l’ostéopathie pour ajuster des zones de mon corps qui ne « lâchaient pas », parce que trop rattachées à une mémoire. Quelque fois nous pouvons travailler le corps et ça ne veut pas « lâcher ». L’empreinte est parfois plus forte que la fluidité.

« Acceptez la vie comme elle vient.
La voie la plus sûre pour découvrir la vérité est de ne plus résister à ce qui se présente. »
Jean Klein

PP : Quand j’ai commencé la collection orange que tu as vue, je travaillais sur la mémoire et mon propos était de dire que nous sommes tous riches d’une même mémoire au sens large, avec les mêmes questions, les mêmes émotions qui nous traversent. Je cherche à ancrer cette réflexion dans la matière par le biais de mes toiles.

BC : Ce que j’ai aimé dans tes toiles et à travers les différentes collections, depuis la première quand tu as fait le « défilé de toiles » par des personnes qui les portaient, c’est que ce sont les toiles qui venaient à nous et que ce n’est pas nous qui allions les contempler, je me souviens notamment de la collection Verte.

PP : Oui, j’avais fait un défilé pour présenter les toiles de la collection Verte, sur le thème de la limite.

« La valeur réelle de l’art est fonction de son pouvoir de révélation libératrice. »
René Magritte

BC : Je m’en souviens, c’était extraordinaire. J’ai trouvé dans cet événement une énergie puissante, car les toiles s’imposaient. Nous étions saisis par l’énergie de la toile. Nous n’avions pas le temps d’intellectualiser. En ce qui me concerne, ça a été une explosion de vie et d’humour. Le sentiment était la joie. Je suis venu à une exposition en m’attendant à me situer sur un plan intellectuel, sérieux, et j’en suis simplement ressorti joyeux.

PP : Tu m’as aussi parlé de ce que tu as ressenti face à une toile de la collection Or.

BC : C’était à ta dernière exposition chez Juliette Aittouares. Il y avait une toile en haut de l’escalier, et lorsque je me suis retrouvé devant, j’ai eu un sentiment de détente et mon plexus s’est vraiment dégagé. Ce qui m’a toujours touché dans ta démarche, c’est l’alliance entre ce que tu offres au monde en ta qualité d’artiste et ce que tu offres en ta qualité de thérapeute. J’ai toujours ressenti une profonde correspondance entre ces deux pôles et dans mon rapport à tes œuvres. Avec cette toile j’ai eu la sensation que l’énergie circulait car j’étais en accueil d’une vibration qui s’extériorisait de la toile, et qui me permettait cette ouverture.

« J’imaginais la peinture se mettant à saigner.
Blessée de la manière dont les gens peuvent être blessés.
Pour moi la peinture devenait une personne avec des sentiments et des sensations. »
Niki de Saint-Phalle

PP : C’est exactement le propos de ma peinture. Mon propos est de dire que j’ai une prédisposition à soigner, que je sens de façon instinctive, par-delà les études que j’ai pu effectuer. Utiliser ce « don » pour mettre cette intention bienveillante dans les toiles, que les gens puissent ressentir cette bienveillance, c’est mon idée, et cette détente que tu as ressenti, c’est cela. C’est naturel pour toi d’appréhender cela ? Ce n’est pas le cas de tout le monde.

BC : C’est tout simplement parce que je fonctionne comme cela. Ton premier fonctionnement en tant que thérapeute est de sentir un corps. La dessus tu t’es amusé, tu as grandi, tu as construit des choses. Tu t’es permis aussi de te faire plaisir en créant. Dans ces créations, pour moi, tu n’as fait que transcender un potentiel de thérapeute. Tu fais des toiles car tu as de la technique, mais le fond de tout ça reste ton cœur et ton âme.

PP : Finalement, ce qui compte c’est l’intention.

« Il faut que la peinture serve à autre chose qu’à la peinture. »
Henry Matisse

BC : Oui, ton âme est faite pour avoir des mains qui aident les gens à aller mieux. Que tu les utilises sur un corps ou pour peindre, tu as la même intention. Avec le même potentiel tu t’es exprimé autrement, et tu permets à ceux qui y sont sensibles d’avoir ce rapport à la toile, qui leur fait du bien, et qui touche à des zones de la sensibilité qui en ont besoin. Toutes les créations, picturales, littéraires ou autres, ouvrent l’inconscient, l’informent, le libère et le construisent, dans des audaces de compréhension, de transgression, et cela fait avancer les gens. Tu as donc plusieurs outils, l’un directement thérapeutique, et l’autre qui passe par un travail esthétique pour aller vers une même démarche thérapeutique.

PP : Effectivement, c’est toujours la même démarche mais la peinture permet aussi une expression plus forte, des interprétations libres, que la position pure de thérapeute ne permet pas. Avec la collection Orange par exemple je voulais mettre en scène cette couleur un peu comme une plaie, qui petit à petit se cicatrise en devenant orangée.

BC : C’est la couleur du détachement chez les moines tibétains, du renoncement à des choses, des habitudes. Le vert c’est l’espoir et c’est le cœur. C’est la capacité d’aimer, les autres et soi-même.

PP : Pour l’orange il y avait effectivement la notion d’abandon, de renoncement. Pour moi le vert posait la question de la limite et notamment la transformation de la colère en pardon, en bienveillance et en bonheur.

“Pour moi, les couleurs sont des êtres vivants, des individus très évolués qui s’intègrent à nous, comme à tout.”
Yves Klein

BC : La limite c’est ce que l’on retrouve aussi entre soi et les autres. Nous la franchissons pour offrir à l’autre, pour le recevoir. La couleur est une vibration, une énergie première, que l’on interprète ensuite par la parole qu’elle soit poétique, intellectuelle, artistique, mais la vibration reste toujours la même. L’or qui est le sujet de ta dernière collection est la couleur de l’Alchimie, de la transformation du plomb en or.

PP : L’or est ici pour moi c’est la notion du moment présent, du mot juste, de l’instant partagé. La densité du moment lorsque la vie devient belle.

BC : Oui, le moment précieux par excellence. Je me souviens de tableaux qui étaient creusés, pleins de matière. Avec une toile de cette collection j’ai vraiment ressenti quelque chose de profond. J’ai regardé, je me suis laissé embarquer. D’une toile rationnelle, nous nous retrouvons en expansion de conscience.

PP : Pourrions-nous imaginer qu’une toile émette une certaine longueur d’onde, et que quelqu’un la rencontre et soit rééquilibré s’il en a besoin ? Une sorte de système de polarité, de complémentarité.

« La rencontre de deux personnalités est comme le contact de deux substances chimiques : s’il se produit une réaction, les deux en sont transformés. »
Carl Gustav Jung

BC : C’est l’idée de la luminothérapie, de la chromothérapie. Toutes les thérapies qui vont utiliser les couleurs et les « chakhras » mot un peu galvaudé aujourd’hui il est vrai.

PP : J’avais fait une collection Rose et Noir avec l’idée de la sensualité, du mouvement.

BC : Le rose effectivement est sensuel voire érotique… et le noir lui représente la tentation, ce qui renforce la sensualité du rose. Le X par exemple, représente symboliquement le choix d’aller à droite ou à gauche, le croisement, mais aussi la sexualité. Les gens ont dû être touchés à ce niveau-là par cette collection.

PP : Crois-tu que devant une toile on pourrait mesurer l’énergie qu’elle dégage ? Comme avec l’antenne de Lecher par exemple.

BC : Oui bien-sûr. De toute façon, nous sommes nous-mêmes des thermomètres. Nous pouvons ressentir les énergies, les atmosphères d’un lieu ou d’une personne, et savoir si c’est bon pour nous ou pas. L’homme a une part sensible qu’il délaisse un peu aujourd’hui mais qui est son instrument premier. Quand un objet est créé par la main de l’homme et non pas de façon industrielle et mécanique, l’âme de celui qui a créé l’objet réside à l’intérieur. Il y a toujours l’atome du maitre dans la toile.

PP : En même temps je ne cherche pas à entrer dans une sorte de démarche cartésienne dans la recherche d’une justification, alors que nous sommes directement habités par une vérité qui nous dépasse, qui nous porte et qui nous anime. J’ai envie d’apporter de la joie dans mes toiles, tout simplement.

« Le seul véritable voyage n’est pas d’aller vers d’autres paysages, mais d’avoir d’autres yeux. »
Marcel Proust

BC : Tu as un facteur de spontanéité qui est une énergie corporelle. Tu dégages cette énergie et tes toiles aussi. Certaines personnes tentent de trouver des explications à ce ressenti, mais ça ne fait que nous éloigner de ce qu’il y a à vivre. Il faut juste profiter de l’instant présent. Ne pas tomber dans des raisonnements et dans une intellectualisation exagérée.

PP : Je ne suis pas dans une quête de reconnaissance de ce côté-là. La valeur intrinsèque de chaque être humain, avec ce qui le compose, au-delà de nos contingences matérielles, est la seule chose qui m’intéresse.

BC : En regardant un objet symbolique, notre inconscient est rattaché à sa connaissance et à sa propre nature universelle. Un symbole a une partie cachée et une partie visible. En regardant la partie visible nous contactons sans le savoir la partie cachée. Quand des personnes veulent s’approprier l’origine d’une création, l’expliquer, ils en baissent la vibration de cette création.

PP : Un ami me disait que nous n’avons pas besoin de parler devant une toile.

BC : Oui, la spiritualité c’est la simplicité. Plus nous intellectualisons plus nous nous éloignons de cette simplicité.

« Pour avoir de la connaissance, ajouter des choses chaque jour. Pour avoir de la sagesse, enlever des choses chaque jour. »
Tao Te King

PP : Oui, je reconnais ici la part de l’enfance qui s’émerveille. Les enfants s’extasient pour un rien. C’est cet enthousiasme primaire de la vie qui me parle profondément.

BC : Dernièrement j’ai reçu un jeune enfant autiste. Il est venu avec sa mère et sa tante. Pendant le soin, il a capté mon intention de le reconnaître en tant qu’être, en tant qu’âme. Dans un moment très fort, il m’a pris dans ses bras, ce qui a fait pleurer sa mère.

PP : C’est cette intention d’amour première et universelle, sous-jacente à tout, qui me porte et que je recherche à travers ma démarche artistique.

« Ce que nous faisons de plus sérieux sur cette terre c’est d’aimer, le reste ne compte guère. » 
Julien Green

BC : Il faut trouver tous les moyens pour que cette intention passe la plus libre possible et que les gens aient la chance de pouvoir être face à elle.